« Si vous refusez, ils vous crachent au visage, tous les jours, toute votre vie… »

« Si vous refusez, ils vous crachent au visage, tous les jours, toute votre vie… »

 

Maître Hakim Chergui, avocat d’un mineur condamné à la prison après l’incendie d’un bus, à Boyenval, le 23 novembre 2016, revient sur cet évènement douloureux de la vie beaumontoise dont l’origine est la mort d’Adama Traoré.

Le 23 novembre 2016, des violences surviennent devant l’Hôtel de ville en marge d’une séance du Conseil municipal de Beaumont. Liées à la mort d’Adama Traoré quatre mois plutôt lors de son transfert à la Brigade de gendarmerie de Persan, elles se déplacent dans le quartier de Boyenval, à Beaumont. L’idée des meneurs d’une bande regroupée dans le bâtiment 9 est de voler un bus de la société Kéolis, qui s’arrête dans leur quartier, et l’incendier. Une dizaine d’individus encagoulés pénètrent dans le véhicule. Le chauffeur est frappé. Le bus s’embrasse. Lors de leur procès en octobre 2018, deux hommes ont été condamnés à 3 ans de prison, deux autres majeurs ont purgé 6 mois de détention. Plus tard, cinq mineurs ont été jugés par le tribunal pour enfants. L’un d’entre eux, âgé de 16 ans au moment des faits, était défendu par Maître Hakim Chergui. Son avocat nous éclaire sur son parcours chaotique, régi par les « règles » du quartier, et son envie d’avancer depuis qu’il est sorti de prison…

 

« Maître, quel le profil de l’adolescent que vous défendu ?

« C’est un gamin de Boyenval, avec un profil absolument pas délinquant, qui n’était pas connu avant les faits. La première chose à laquelle il a pensé après avoir cette connerie, c’est faire en sorte que sa mère ne le sache pas. C’était un mineur – aujourd’hui majeur – très perturbé par le contexte de guerre civile, larvée, qui a prévalu dans son quartier. C’est le ‘’canard boiteux’’, la victime du quartier. Il dit qu’il a été, un jour, protégé par Adama Traoré. Il avait donc un rapport personnel, de l’admiration pour lui, et son décès l’a particulièrement perturbé.

- Que s’est-il passé lors de cette soirée du 23 novembre 2016 ?

- Les jeunes fumaient de la chicha dans le hall d’un immeuble. De nombreux jeunes. Les plus grands du quartier ont dit : ‘’On va bruler un bus’’. On lui a donné une bouteille remplie d’essence qu’il a répandue dans le bus après savoir vérifié que tout le monde en était sorti. Il a agi de manière spontanée. Pour justifier les 6 mois de prison, la juge d’instruction, au début, lui a mis tout sur le dos. Il a été relaxé des accusions selon lesquelles il aurait frappé le chauffeur et allumé le feu. Le gars qui lui a tendu la bouteille l’a disculpé. Celui qui a incendié le bus est toujours en fuite. On pense qu’il se cache au Portugal. Il a été condamné par défaut.

- S’il n’avait pas, avant les faits, le profil du délinquant, comment expliquez-vous son passage à l’acte ?

- Il n’avait aucun moyen de s’opposer au groupe. C’était un ‘’petit’’, et il ne pouvait pas dire non aux ‘’grands’’. Il n’a pas su, il n’a pas pu dire non. Si vous refusez devant tous les jeunes du quartier, ils vous crachent au visage, tous les jours, toute votre vie, ou vous ne revenez plus… Vous n’êtes pas dans une posture ou vous avez le choix : soit vous êtes avec eux, soit vous êtes un traitre. C’est le même réflexe pour les équipes de rugby ou de foot qui se chicanent. On ne va rien faire de méchant mais il faut prouver qu’on est dans l’équipe. Ce sont des réflexes de groupe, de foule. Lui, c’est son quartier, son bâtiment, les gens avec qui il a grandi…

- On peut comprendre le contexte, mais la perception des évènements est bien différente pour les victimes (le chauffeur du bus sinistré a fait une dépression nerveuse durant les mois qui ont suivi son agression)…

- Les ados, par définition, n’ont pas la force de s’individualiser. C’est pour cela qu’ils s’habillent de la même façon, qu’ils ont le même langage. Les grandes fraternités, les grandes amitiés naissent à ce moment-là. L’être humain est grégaire, et à l’adolescence, le grégarisme est exacerbé. S’ils sont exclus d’un groupe, ils le vivent mal. C’est la période de la vie où il y a le plus de suicides. Le groupe, c’est le bâtiment à Boyenval, c’est Beaumont contre le reste du monde. Vous regardez la télévision en live et vous voyez votre quartier en ébullition. Le jeune que j’ai défendu m’a rapporté : ‘’On regardait LCI, et on voyait le bus qui flambait au pied de l’immeuble.’’ Cela a de quoi perturber. Pour autant, Boyenval ce n’est pas Brooklyn, ce n’est pas une zone de non-droit. Moi-même j’ai grandi aux Minguettes, à Lyon, dans les années 80. J’habitais à Vaulx-en-Velin en 1995 quand les émeutes sont survenues et ma belle-famille est de Clichy-sous-Bois. Ma vie a suivi les émeutes urbaines. Je commence à comprendre le contexte.

- Quel est votre avis sur la sanction de six mois de prison ?

- Le jugement du tribunal pour enfants a été un bon jugement, différencié de celui des adultes. On ne peut pas mettre au même niveau les commanditaires, ceux qui voulaient créer du désordre et, à côté, les ‘’petits’’ par lesquels ils sont passés pour créer ce désordre. Pour autant, il a fait six mois de détention préventive alors qu’il allait passer le Bac, qu'il n'avait pas de mauvaises notes. Après sa sortie de prison, il a été formé à la maçonnerie à l’AFPA (Agence pour la formation professionnelle des adultes) de Bernes. Durant la période de la procédure, il n’a pas eu le droit d’habiter à Beaumont, il a été hébergé par un ami de la famille dans une commune voisine. Aujourd’hui, il est en couple. J’essaie de le rebooster pour qu’il se réinscrive au lycée et puisse passer le Bac. »