Cette photo a cent ans !

Cette photo a cent ans !

 

Cette photo a été réalisée à Noël 1916. Elle est présentée à l’exposition « Les héros des familles beaumontoises, 1914-1918 ».

 

Cent ans. Cette photo a cent ans, aujourd’hui samedi 24 décembre. Elle a été réalisée le 24 décembre 1916 par un soldat inconnu et appartient à la collection de la famille Clerget qui a prêté de nombreux documents et pièces pour l’exposition « Les héros des familles beaumontoises, 1914-1918 », proposée à la Maison du patrimoine, à Beaumont, jusqu’au 29 avril. « D’après mes recherches, à partir du livret retraçant les mouvements de troupe du régiment, cette photo a été prise à Proyart, près de Péronne, dans la Somme », souligne Marlène Herlem, responsable des expositions historiques du Cercle beaumontois du patrimoine. On aperçoit, image rarissime, des soldats tout à leur joie, qui ripaillent durant la trêve de Noël, au milieu de la guerre, des bombes, des balles et des baïonnettes ; peut-être ont-ils reçu pour l’occasion des colis de leurs familles avec quelque nourriture et plus sûrement du tabac. L’homme qui tient une pipe dans sa main gauche, képi penchant vers la droite – l’objet est présenté à l’expo – au milieu du groupe, s’appelle Georges Couprie.

Sa petite-fille, Christine Clerget, est beaumontoise. Elle n’a pas oublié son papy qui a survécu à la Grande Guerre malgré une longue présence au front « comme brancardier de première ligne au 51e Régiment d’Infanterie, basé à Beauvais, la ville dont il était originaire, précise-elle. Il jouait du violon, du saxo. On réquisitionnait les musiciens pour ce genre de tâche. Il devait ramener les blessés, les morts aussi, dans la tranchée, la nuit surtout. Et à l’occasion, il servait de coiffeur dans la troupe ». De son grand-père décédé au début des années 1980, à l’âge de 88 ans, elle a bien plus de souvenirs visuels que de témoignages de sa jeunesse consumée dans l’horreur car « comme beaucoup de ceux qui étaient revenus de la guerre il n’en parlait pas ou très peu ». Une anecdote la fait sourire : « Le colonel lui avait demandé à lui et à un copain de jouer ''La Marseillaise''. Le soir même, en représailles, ils se faisaient canarder par les Allemands ».

 

Un éclat d’obus dans le bras

 

Au milieu du conflit, Georges a été gravement blessé en allant secourir un blessé, « un éclat d’obus dans le bras, trop près de l’os pour l’opérer ». Il avait été envoyé loin de Verdun où le gaz ne l’avait pas épargné, sans non plus avoir raison de sa robustesse et de ses poumons, et de la Somme, dans un hôpital de Luçon, en Vendée. Avec des camarades, il se baignait dans des mares pour retarder la cicatrisation. Pas pressé d’être soigné (mais n’avait-il pas déjà fait son devoir ?) car il savait qu’au bout de la guérison l’attendaient à nouveau l’enfer de la mitraille, de la boue, des maladies et, au bout du compte, une blessure au bras... « Il disait que la vie dans les tranchées était épouvantable, que son casque lui servait à tout faire », raconte Christine Clerget.

Il a été décoré de la Croix de Guerre, et s’il a refusé la Légion d’Honneur c’est parce qu’on lui avait proposé si tard que cette reconnaissance n’avait plus vraiment de sens pour lui, à une époque où la France commençait à recenser ses valeureux poilus, rescapés de 14-18 , où les témoignages sortaient de l’oubli des greniers et des caves dans lesquels ils dormaient depuis plusieurs décennies. Georges Couprie avait eu la malchance de naître à la mauvaise date. Le destin lui imposa trois ans de service militaire, quatre ans de conflit et quand la Seconde guerre mondiale éclata, il fut mobilisé à nouveau ! Peu de temps cette fois, jusqu’à la débâcle. Après une carrière de banquier à Beauvais, il termina sa vie à Beaumont auprès de sa belle-famille. Cent ans après ce Noël 1916, d’autres Georges Couprie tentent de survivre dans les ruines de la ville martyre d’Alep, à un peu plus de trois mille kilomètres de Proyart.

 

. Maison du patrimoine, 2, rue Basse-de-la-Vallée. Jusqu’au 29 avril, le mercredi (15 heures à 17 heures) et le samedi (11 heures à 17 heures).

 

 « C'EST NOËL, LA TRÊVE DE DIEU »

 Pendant la Première guerre mondiale, Noël a permis de vivre des moments de fraternisation dans les tranchées entre les soldats français, anglais et allemands. Le film à succès de Christian Carion, « Joyeux Noël » (2005), sur la première fête de Noël de la guerre, en 1914, a contribué à leur forte présence mémorielle ces dernières années. Ces scènes étonnantes se déroulèrent notamment sur le front germano-anglais. L’ancien poilu Alexandre Renaud témoigne, dans « Chair à canon » (1935). « Les Allemands lancent des fusées et se mettent à chanter. Puis, la contagion de ce chant nous empoigne à notre tour et le cantique reprend dans les deux tranchées à la fois. » Mutuellement, les adversaires envoient des cadeaux d’une tranchée l’autre, saucisson contre chocolat. « Maintenant depuis que, pour quelques heures, les hommes d’en face ne sont plus nos ennemis, un peu de joie flotte dans l’air et la neige semble moins froide », écrit le soldat Renaud. A l’initiative des Allemands, les combattants sortent de leurs tranchées pour se rencontrer : « Tout le monde sifflote joyeusement. On fume, on rit : c’est Noël, la trêve de Dieu ».