« Comment je vais ? Comme une vieille »

« Comment je vais ? Comme une vieille »

 

Suzanne Breton, la doyenne du Haut Val-d’Oise, a célébré ses 105 ans, le vendredi 17 août, entourée de ses proches et du personnel soignant de la Maison de retraite de l'Hôpital de Beaumont. Un joli pied de nez à un destin vachard lors de sa traversée du 20e siècle.

On a ressenti beaucoup d’amour et d’émotion, vendredi 17 août, autour de Suzanne Breton, qui fêtait son 105e anniversaire, avec une partie de sa famille et du personnel soignant de l’Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) du groupe hospitalier Carnelle-Portes de l’Oise, auxquels s’était jointe Nathalie Groux, la maire de Beaumont. Elle est vêtue d'un chandail rose ; pour l'évènement, elle porte un collier de perles et des bracelets. Au milieu des cadeaux, on lui passe le téléphone. « Comment je vais ? répète-t-elle la question de son interlocuteur. Comme une vieille… »

Suzanne Breton connaît très bien cet hôpital où l’on s’occupe d’elle avec bienveillance : elle a travaillé dans ses cuisines. Elle a vécu seule dans son petit appartement du quartier de Boyenval jusqu’à l’âge de 97 ans. « Son rideau était un peu de travers et comme elle est très méticuleuse, elle est montée sur une chaise, et elle tombée », explique sa fille, Nicole. Réflexe hérité de sa carrière professionnelle, sans doute, puisque Suzanne Breton a servi durant plusieurs décennies comme employée de maison autour de Noyon, dans l’Oise.

Le jour de son anniversaire, elle est restée dans son lit car la fatigue lui tient souvent compagnie. Les autres résidents étaient à table, autour d’un goûter, pendant qu’un chanteur interprétait des chansons du temps passé. Justement, la vie de Suzanne donnait envie d’inviter Jacques Brel à la fête. Non pas avec « Les Vieux » car elle n’a pas partagé sa vieillesse avec son époux Marius, parti il y a bien (trop) longtemps. On pense à la chanson « Jaurès » :

« Il étaient usés à quinze ans,

Ils finissaient en débutant,

Les douze mois s’appelaient décembre,

Quelle vie ont eu nos grands-parents,

Entre l’absinthe et les grands-messes,

Ils étaient vieux avant que d’être,

Quinze heures par jour le corps en laisse ».

À 10 ans, Suzanne récoltait la pomme de terre en Haute-Marne où elle est née en 1913, et si elle était sans doute déjà usée à 15 ans, quelle revanche d’être devenue centenaire ! Un sacré pied de nez aussi à un destin qui ne lui a fait aucun cadeau. Elle a 5 ans lorsqu’elle perd sa mère à la fin de la Grande guerre, en 1918, décédée d’une morsure de vipère alors qu’elle est enceinte. « Elle a travaillé à la ferme, n’est jamais allée à l’école, et au remariage de son père, sa belle-mère ne l’a jamais aimée, énumère sa fille en peignant un tableau obscur de la jeunesse de sa mère. En 1936, elle a rencontré Marius, un père que je n’ai jamais connu. Pendant la guerre, il était dans un camp de prisonniers en Pologne et après avoir été libéré, sur le chemin du retour, il a été tué par un obus américain. »

Suzanne Breton (en 1913) et sa fille Nicole (en 1938) sont nées toutes les deux un 17 août (photo J.-L. G.).

 

La Seconde guerre était terminée, mais le labeur avait toujours le même visage : « Elle était bonne à tout faire dans des maisons bourgeoises ». Puis elle s’est installée à Beaumont, « parce que ma sœur habitait dans la commune, et je ne vais pas vous cacher qu’elle préférait ma sœur (aujourd’hui décédée) », avoue Nicole, qui partage avec sa mère le même jour d’anniversaire, enfin une gentillesse du destin ! « Moi, j’ai 80 ans aujourd’hui, j’habite en Seine-et-Marne, je ne conduis pas, c’est difficile pour moi de venir la voir », dit-elle.

En réunissant son énergie, Suzanne Breton, qui a toute sa tête (comme on dit), participe aux lotos de la Maison de la retraite et aux animations proposées par la Ville. Cette année, avec l’Aumônerie de l’Hôpital, elle a fait un grand pèlerinage jusqu’à Lourdes. Ce qu’elle a dit à Bernadette n’est pas sorti de la Grotte…