Quand Charles Aznavour triomphait à Presles et à Beaumont…

Quand Charles Aznavour triomphait à Presles et à Beaumont…

 

C’est à Presles et à Beaumont, en 1943, que Charles Aznavour, disparu lundi 1er octobre à l’âge de 94 ans, connut ses premiers triomphes. L’historien Patrick Glâtre nous en fait le récit détaillé.

Fils de Misha et Knar Aznavourian, Charles est né le 22 mai 1924 à Paris. Ses parents décident de le nommer Shahnourh mais l’infirmière prend l’initiative de simplifier le prénom et inscrit Charles ! Dès l’âge de neuf ans, l’enfant quitte l’école pour devenir artiste. Il a de qui tenir puisque son père, Arménien de Géorgie, et sa mère, Arménienne de Turquie, étaient chanteurs et acteurs avant de se réfugier en France. Dès ses débuts, se voyant déjà en haut de l’affiche, il choisit de raccourcir son nom. Il vit avec sa famille à cinq dans un meublé de 20 mètres carrés rue Monsieur-le-Prince, avec l’eau sur le palier et un unique poêle Godin pour faire la cuisine et se chauffer. Pendant l’occupation allemande, Charles et sa sœur Aïda vont quelquefois dormir dans un petit hôtel pour éviter les rafles.

Pendant la guerre, il vend sur les marchés de Seine-et-Oise, à Pontoise, Montmorency et Enghien. « Enghien, je connais bien. C’est là que je chantais aux terrasses des cafés, accompagné d’un ami accordéoniste. Le fruit de mes premières quêtes m’a permis de me payer mon premier vélo d’occasion. »

En 1943, le jeune Charles est sans le sou. Même ses chaussures rendent l’âme. Les semelles, découpées dans de vieux pneus de vélo tiennent toujours le coup mais c’est le haut qui lâche. « Marchez avec précaution. Surtout ne courez pas ! », lui recommande son cordonnier.

Puis, Aïda lui présente Jean-Louis Marquet, directeur du Club de la Chanson, qui deviendra plus tard son imprésario. Le Club de la Chanson regroupe des jeunes auteurs-compositeurs et artistes. Charles y rencontre le pianiste Pierre Roche, président d’honneur de l’association, et Francis Blanche, qui présente les soirées publiques dans lesquelles chaque membre y joue successivement son numéro. C’est une faute qui va lancer du bon pied le jeune Aznavour dans la chanson.

Un soir, à Presles où ses parents résident, Pierre Roche monte un spectacle dans la petite salle paroissiale, devant 200 personnes. Pierre passe en vedette, Charles en numéro cinq. Tous les copains sont convoqués pour cet événement, dont Lyne Jack, du Mayol, qui doit présenter le programme :

« Nous connaissions bien Lyne, raconte Aznavour. Elle nous avait souvent vus faire répéter les sœurs Fontaine. C’est sans doute à cause de ça, à force de nous voir ensemble, qu’elle commet une erreur dans son annonce. Au lieu de me présenter et ensuite attendre le tour de Pierre, elle annonce » :

- Et maintenant, voici Charles Aznavour et Pierre Roche.

« Un instant, dans les coulisses, Pierre et moi, on se regarde. Puis il me jette » :

- Allons-y. Ca peut être marrant. 

« Nous entrons en scène et nous interprétons les trois chansons que nous avions réglées pour les sœurs Fontaine. Modestement, je ne dirai qu’un mot : triomphe. Sur l’air des lampions, le public nous acclame encore, et comme nous ne connaissions pas d’autres chansons, nous rechantons les trois mêmes. »

En sortant de scène, Pierre et Charles sont entourés par tous leurs amis qui ont quitté la salle pour venir les féliciter. Une grosse bévue s’est transformée en consécration. En quinze minutes, le duo Aznavour-Roche, qui va marquer l’histoire de la chanson française, est né dans un petit village de l’ancienne Seine-et-Oise.

C'est au Beaumont Palace que Charles Aznavour lançai sa carrière en 1943.

 

Deux jours plus tard, au Beaumont-Palace, le Club de la Chanson organise un nouveau spectacle. Roche, bien connu à Beaumont, promet une représentation exceptionnelle.

« Vous allez voir ce qu’on a fait avant-hier à deux kilomètres d’ici. On va vous faire la même chose. Si vous applaudissez beaucoup, vous serez peut-être à l’origine d’une grande carrière ! »

Ils interprètent les trois mêmes chansons qu’à Presles, c’est à dire « C’était une histoire d’amour », « Débit de l’eau débit de lait », le succès de Charles Trenet, et « L’Amour naît souvent de ces riens », une composition de Roche. Ils y ajoutent « Coco le Corsaire », « Quand un facteur s’envole », « Bébert », « l’Héritage infernal », des chansons de Trenet et de Johnny Hess. C’est un nouveau triomphe et le nombreux public présent n’oubliera pas de sitôt leur prestation, dans une salle qui accueille, à cette époque, plusieurs fois par semaine, des films entièrement programmés par les services allemands de Goebbels. Le chanteur et le compositeur entameront ensuite une série de petits galas dans la France entière.

Quelques mois plus tard, Charles sera découvert par Edith Piaf qui le prendra sous son aile. La suite est connue, celui qu’on a surnommé à ses débuts « l’enroué vers l’or » va accumuler les succès.

En mai 2010, Charles Aznavour était revenu à Presles pour commémorer ses débuts avec Pierre Roche dans la salle Jeanne d’Arc. Une plaque immortalise aujourd’hui sa venue.