Hommage au Beaumontois Frédéric Henninot, tué au Bataclan il y a trois ans

Hommage au Beaumontois Frédéric Henninot, tué au Bataclan il y a trois ans

 

Le 13 novembre 2015, 130 personnes périssaient dans les attentats de Paris et de Saint-Denis. Trois ans plus tard, nous avons rencontré la famille de Frédéric Henninot, tué au Bataclan, qui évoque avec amour son « Titi ».

Il y a trois ans, le vendredi 13 novembre 2015, 130 personnes étaient assassinées par des djihadistes, lors des attentats les plus meurtriers en France depuis la Seconde guerre mondiale ; trois ans que les survivants de cette nuit d’horreur, à Paris et à Saint-Denis, souffrent dans leur chair et dans leur esprit. Frédéric Henninot était l’un d’eux. Ce Beaumontois de 45 ans a perdu la vie au Bataclan, avec l’un de ses tout meilleurs amis, Stéphane qui avait grandi lui aussi dans la commune. Nous souhaitions rendre hommage à l’occasion de ce sombre anniversaire en écoutant sa famille parler de son « Titi ». Elle a accepté notre proposition « pour ne pas oublier ». Madeleine, sa maman, une femme bienveillante et distinguée, est bien connue à Beaumont. La ressemblance entre Philippe, l’aîné (58 ans) et Frédéric est frappante. Sa sœur Sylvie, qui vous met à l’aise, a organisé le rendez-vous. Elle est accompagnée par son mari, André, dit « Dédé », et de leur fille Mélissa (elle est rigolote Mélissa) dont le fils Matthéo avait Frédéric pour parrain. Sur le buffet du séjour, une photo des enfants de Frédéric, Guillaume (18 ans) et Lisa (15 ans). « C’est une photo de classe de l’an dernier, la première où ils sourient. On pense beaucoup à eux », glisse Madame Henninot. La discussion s’engage. Elle durera une heure et demie durant laquelle la tristesse ne s’emparera pas exclusivement de leurs souvenirs parce qu’au final, en pensant à leur « Titi », à son tempérament joyeux, les rires seront plus nombreux que les larmes.

 

Très tôt, un goût artistique certain (photo famille Henninot).

   

UNE PASSION DÉVORANTE POUR LA COMÉDIE

Dès l’enfance, il adorait le théâtre. Adulte, ses postures pouvaient être théâtrales, elles aussi, et révélaient un vrai personnage. La conversation démarre sur cette grande passion.

Madeleine : Il a commencé dès l’âge de 6 ans à la lyrique de l’Isle Adam, l’année où le thème était les monstres sacrés du cinéma. Pour un tableau, ils avaient besoin d’un petit bonhomme. Sa marraine qui était la chef d’orchestre de la troupe a pensé à lui. On l’emmenait aux « répète ». C’est par Frédéric qu’on y est entrés nous aussi.

Sylvie : Toute la famille s’y est mise. On chantait, on dansait.

Madeleine : On était aussi dans la troupe de la paroisse de Beaumont, qui s’appelait Théâtre et fantaisie, c’était les enfants du ‘’caté’’, du ‘’patro’’. Il avait vraiment le goût du théâtre.

Sylvie : Avec nous, il faisait toujours de grands gestes.

Madeleine : C’est vrai que quand on parle de lui, on est plutôt gais.

Sylvie : Il le faut.

     UN CHAMPION DE L’AUTODÉRISION

Avec lui, la scène et la vie quotidienne se mélangeaient presque toujours, sauf au travail.

Sylvie : Sa démarche était nonchalante.

Mélissa : Et sa tenue vestimentaire ! Gaie, colorée et pas du tout assortie.

Madeleine : L’année de sa communion, il avait pris l’initiative de se faire friser les cheveux. Au début, le coiffeur, Jean-Pierre Thavard, ne voulait pas mais il a dû céder. Tenez, un exemple de ses goûts baroques…

Sa mère sort un bonnet multicolore d’un sac en plastique.

Madeleine : Il m’avait demandé : « Maman, faudrait que tu me fasses un bonnet, mais alors un bonnet qui ressemble à rien. Tu mets toutes les couleurs, tu fais n’importe quoi. »

Sylvie : Il avait acheté une cote de peintre, toute blanche, et entrepris de la peindre de toutes les couleurs.

Madeleine : Oui, c’est vrai qu’il nous a fait beaucoup rire.

Sylvie : Il était aussi toujours en retard. Dans le genre, c’était le champion du monde.

Mélissa : On l’attendait pour les repas et, comme il parlait sans cesse, il mangeait froid en général.

Sylvie : Quand il se sentait bien quelque part, il prenait son temps. Un jour, il vient à la maison le midi, il avait un anniversaire l’après-midi. Il est parti de chez moi à minuit !

Philippe : Quand il quittait le costume-cravate, il lâchait les chevaux.

Dédé : Il déconnait beaucoup. Mais quand il avait quelque chose à dire, il le disait. Il avait une façon de parler qui faisait qu’on était obligé de l’écouter. Il dégageait quelque chose…

Philippe : Au boulot, il était ponctuel et très sérieux. Après le boulot, il était cool. Deux facettes.

Madeleine : Il était analyste financier à la Banque de France, en relation avec les chefs d’entreprise qui avaient besoin de ses services pour les prévisions. Il était très apprécié dans son travail.

Une jeunesse en couleurs (photo famille Henninot).

 

« TITI » ET STÉPHANE, L’AMITIÉ JUSQU’AU BOUT

Stéphane était originaire de Beaumont, lui aussi. Ils étaient copains depuis l’adolescence. La passion de la musique les a conduits ensemble au Bataclan pour le concert de rock du groupe américain Eagles of Death Metal.

Sylvie : Il est venu au rock par son pote Stéphane.

Madeleine : Stéphane, aussi avait grandi à Beaumont.

Sylvie : C’était des potes d’enfance, ils étaient allés à l’école ensemble. Ils ont pas mal bourlingué. Grâce à Stéphane, commercial dans une maison de disques, ils pouvaient voir des concerts fréquemment. Je les ai trimballés les deux mômes ! Ce n’était pas les potes d’un côté, la famille de l’autre : tout le monde passait à la maison.

Madeleine : Il fédérait beaucoup.

Philippe : Il y a eu aussi la passion du cerf-volant, il en avait fabriqué un dans le grenier. Il m’a refilé le virus.

Madeleine : Ils les cousaient eux-mêmes à la machine.

Philippe : Steph’ avait acheté un combi pour qu’on puisse mettre le matos, aller tous ensemble à Fort-Mahon et sur la plage de Dieppe où il y a un grand rassemblement annuel de cerfs-volants.

Sylvie : Stéphane est la 130e victime, il est décédé quelques jours plus tard. Ils étaient 5 à aller au Bataclan. Les places de concert, c’était le cadeau d’anniversaire de Stéphane. Ils étaient accompagnés de Laurent et Richard, qui ont été blessés.

     FRÉDÉRIC, UN PAPA D’EXCEPTION

     Madeleine : C’était un papa aimant qui savait jouer et rire avec ses enfants et, quand il le fallait, redressait la barre avec fermeté, douceur et amour.

LA DERNIÈRE FOIS, AU SCRABBLE

      Madeleine Henninot et Micheline Millereau, la mère de Fabrice (ancien maire de Beaumont), ont créé, il y a longtemps, un club de scrabble à Beaumont. Un tournoi était organisé le dimanche 8 novembre 2015 au gymnase Henri-Michel.

Philippe : La dernière fois qu’on s’est vus, c’était au scrabble.

Madeleine : On avait besoin d’un coup de main pour l’organisation. J’ai demandé si les enfants pouvaient venir nous aider. Titi a répondu : « Je viendrai aussi ». Il est venu avec Stéphanie, sa compagne. Et il y avait Philippe, sa femme Valérie pour s’occuper des rafraîchissements. Les deux fils de Philippe étaient au ramassage.

Sylvie : Nous, nous n’étions pas là. On allait partir en Inde, on finissait les derniers préparatifs du départ.

Madeleine : J’ai la dernière photo, vous êtes tous les deux (les frères) au fond de la salle. Après avoir passé une agréable journée ensemble, on se quitte sans imaginer que 5 jours après…

     LA NUIT DU BATACLAN

Dans la soirée du vendredi 13 novembre 2015, où 1 500 personnes assistent au concert, 3 terroristes ouvrent le feu sur le public et tuent 90 personnes. Les Djihadistes sont abattus par les forces de l’ordre.

Philippe : Quand on a appris qu’il y avait des attentats à Paris, on a essayé de le joindre, ça ne répondait pas.

Madeleine : On avait un espoir. Pendant cette nuit d’attente et de recherches, on suivait à la télé l’arrivée des blessés dans les différents hôpitaux et on appelait. Le lendemain après-midi, on a appris qu’un blessé non identifié était à la Pitié-Salpêtrière. Ils nous ont demandés des renseignements, des photos. On devait rappeler dans deux heures. Entre-temps, les deux fils de Philippe sont allés à la Salpêtrière. On leur a dits : « Non, ce blessé ce n’est pas lui ». Ils ont continué à le chercher.

Philippe : Ils ont appelé l’Institut médico-légal pour savoir si Fred était là-bas, ils ont dit oui.

Sur la tombe de Frédéric, l'hommage de Laurent à Titi et à Stéphane (photo J.-L. G.).

 

     SUR SA TOMBE, UNE MARQUE DE WHISKY ET LA VACHE QUI RIT…

Laurent a déposé une plaque sur la tombe de Frédéric, au cimetière de Beaumont, avec cette inscription dans laquelle il associe Stéphane : « À toi mon Titi, à nous trois. » Et juste au-dessus : « Powers, gold label, Irish Whiskey ».

Sylvie : Titi était un grand amateur de whiskey, le whisky irlandais.

Madeleine : Leur dernier voyage, en Irlande. Un cadeau d’anniversaire de la femme de Laurent offert aux trois copains.

Madeleine : Sur sa tombe, il y a aussi La Vache qui Rit.

Mélissa : Je voulais faire ça. Pour moi, c’est lui.

Dédé : La Vache qui Rit, c’est l’emblème de Titi.

Sylvie : Il avait une passion pour La Vache qui rit, il l’avait même dessinée sur un tee-shirt.

Dédé : Ca le faisait marrer.

Philippe : Oui, une vache rouge avec une boucle d’oreille et un grand sourire, ça devait l’amuser.

Sérieux quand il fallait l'être. Un homme complet (photo famille Henninot).

   

      STÉPHANIE, SA COMPAGNE

Stéphanie est la compagne de Frédéric. Elle l’avait rencontré à la Banque de France, à Cergy, où ils travaillaient. Elle a été blessée au Bataclan.

Madeleine : Ils habitaient Ermont. Stéphanie a quitté la maison qui est devenue trop grande.

Sylvie : Stéphanie est très entourée, avec des amis, des amis extraordinaires venus la soutenir des quatre coins de la France.

LA COMMÉMORATION DU 13 NOVEMBRE

Madeleine Henninot ouvre une enveloppe envoyée par la Mairie de Paris. Elle en extraie un carton d’invitation pour la cérémonie devant le Bataclan, le mardi 13 novembre, « en présence d’Édouard Philippe, premier Ministre. »

Madeleine : Je n’irai pas. Pourtant, j’avais besoin de me recueillir sur les lieux où Titi a vécu ses derniers instants. Mes enfants m’y ont emmené le 27 octobre dernier. Mais la cérémonie, non, je ne peux pas. Avec tout ce monde, j’ai peur de ne pas tenir le coup.

Dédé : On y va tous les ans. Beaucoup de gens pleurent. C’est dur.

Mélissa : L’an dernier, c’était particulièrement émouvant. Au Bataclan, il y avait le gratin et compagnie. Et après, sur le parvis de la mairie du 11e, l’association Life for Paris, grâce à laquelle on échange beaucoup avec les victimes et les familles de victimes, a organisé un hommage. Les Eagles of Death Metal ont fait la surprise de chanter 3 titres interprétés ce soir-là, un peu des derniers morceaux de musique que Titi a entendu.

Sylvie : On a été tous les trois (elle, son mari et sa fille) à la réouverture du Bataclan pour le concert de Sting (un an plus tard, le 12 novembre 2016) On était dans la fosse, là où était Titi.

Dédé : C’était pas facile.

Mélissa : Sting a assuré.

Sylvie : En mars 2017, on est retournés au Bataclan pour écouter Damien Saez.

Mélissa : Avec une très belle chanson, magnifique, les Enfants Paradis, en hommage aux victimes. De l’entendre, ici au Bataclan, c’était émouvant. »

Frédéric Henninot, son copain Stéphane et tant d’autres sont partis très tôt, trop tôt, beaucoup trop tôt. On a le sentiment que la vie de Titi a été pleine, riche, qu’il a profité et su faire profiter aux autres de chaque instant, car il était toujours dans le partage. Rares sont les personnes qui vivent l’instant présent avec une telle intensité. C’est sans doute pour cela que ses proches ont tant de souvenirs de lui et que leur Titi continuera de vivre en eux.