Il y a 77 ans, le 2 mai 1944, le Lancaster s’écrasait…

Il y a 77 ans, le 2 mai 1944, le Lancaster s’écrasait…

 

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1944, un avion de la Royal Air Force, qui vient de bombarder le Moulin-Neuf à Chambly, est abattu et s’écrase à Presles, en limite de Nointel. Des sept membres d’équipage, seul le pilote survit. Ses six camarades sont enterrés dans le cimetière de Nointel grâce au courage des habitants face à l’occupant allemand.

 

La curiosité n’est pas toujours un vilain défaut. En apercevant l’inscription « Tombes de guerre du Commonwealth » (traduite également en anglais) sur un mur du petit cimetière de Nointel, une curiosité d’esprit invite à y pénétrer. À l’entrée, six tombes des membres du même équipage, serrées les unes contre les autres comme l’étaient ces hommes dans leur avion abattu durant la nuit du 1er au 2 mai 1944. Six stèles blanches, préservées de la mousse, sur un lit de cailloux, qui se dressent, presque sereines, face à l’immense parc du Château de Nointel. Ici reposent depuis soixante-seize ans, de gauche à droite, John Edgard Clift, Edgard Feather, James Donald Saidler, Gilbert Dennis Vine, John Herbert Wain et Sydney Wallace. Ils étaient britanniques et néo-zélandais, avaient entre 20 et 33 ans (l’âge de deux d'entre eux est inconnu). Ils faisaient cause commune à bord du Lancaster immatriculéND 901, appartenant au 7e escadron du 8e groupe de la Royal Air Force. L'avion avait décollé de l’aérodrome d’Oakington, tout près de Cambridge, le 1er mai 1944, vers 22 h 45. Cette nuit-là, il était l’un des 120 appareils traversant la Manche pour bombarder le site de Moulin-Neuf, à Chambly, cible hautement stratégique.

 

Le bombardier s’est écrasé au lieu-dit Les Épinettes, à Presles, à proximité de Nointel (photo J.-L. G.).

 

Aujourd’hui décédé, Albert Ramont avait 16 ans en 1944. Comme il parle anglais, cet adolescent habitant à Bernes a été nommé secrétaire-interprète auprès du 386e B.G. (groupe de bombardement américain). Dans son livre « Bernes-sur-Oise (1939-1945), de la ‘’drôle de guerre’’ à l’US Air Force », il témoigne : « Le bombardement de l’immense gare de triage constituant les ateliers et magasins de la voie et des bâtiments de la SNCF à Moulin-Neuf le 1er mai 1944 vers minuit fut, par l’importance des moyens mis en œuvre par la Royal Air Force, le plus important et le plus impressionnant de la région à l’exception, peut-être de ceux opérés sur le dépôt de la Chapelle ou encore sur l’aérodrome du Bourget. C’est après avoir effectué un virage à 180 degrés en direction du nord que plus d’une centaine de quadrimoteurs Lancaster vont bombarder sans relâche et pendant une demi-heure cet objectif majeur dont on dit qu’il ne compte pas moins 30 kilomètres de voies. Les effets conjugués de l’éclatement au sol de milliers de bombes, de l’éclatement dans le ciel des obus traçants de la DCA allemande et des innombrables fusées éclairantes seront tels que nous croirons à un incendie généralisé. Jusqu’aux vers de terre qui, sous l’effet de la lumière et des déflagrations, quitteront précipitamment leurs galeries pour errer par centaines dans les jardins potagers. »

 

Contrairement aux Américains qui, après la guerre, enterrèrent les corps de leurs soldats dans des cimetières militaires, les pays du Commonwealth n’exhumèrent pas les dépouilles des leurs (photo J.-L. G.).

 

Dans son rapport, l’ingénieur en chef de Moulin-Neuf, communique les informations suivantes : « Cinq cents bombes de puissance explosives mettent le dépôt hors d’usage pendant dix jours. Cinq avions sont perdus. » Rapport du 2 mai 1944 de l’intendant de police de Seine-et-Oise : « Vers 0 h 30, rue Pasteur à Persan, 3 morts, 3 blessés légers, des personnes sous les décombres. » À Persan, le bilan s’alourdit. Selon « Le Régional », sont tombées « près de 2 000 bombes dont 250 sur Persan. 5 morts, 3 blessés. Dégâts très importants aux maisons d’habitation, notamment rue Pasteur, rue de Creil et au lieu-dit le Trou du Diable. » Le rapport de l’intendant de police se termine ainsi : « Avion tombé en flammes au lieu-dit Les Épinettes entre Nointel et Presles. » C’est le ND 901. Le bombardier s’est écrasé à 0 h 30 sur la ligne de crête. Il est dispersé en plusieurs morceaux. La queue est retrouvée de l‘autre côté de la route reliant Presles à Beaumont, non loin de la gare de Nointel-Mours. « J’avais 8 ans, racontait Pierre Gatellier. L’herbe était roussie. Ma mère a trouvé un étui à cigarettes. Elle ne l’a pas conservé. Je crois qu’elle l’a fait passer aux Américains à la Libération. »

 

Document du service d’enregistrement des tombes.

 

Dans son livre, Albert Ramont apporte ces détails morbides, des scènes qui ne le quitteront jamais de toute son existence : « Son équipage de six membres a péri, quatre à bord de l’appareil partiellement carbonisé, les deux autres, des Néo-Zélandais, pour avoir tenté de sauter en parachute se sont littéralement fichés dans la terre nouvellement labourés d’un jardin situé en bordure de la route de Saint-Martin-du-Tertre à Beaumont-sur-Oise. Résidant provisoirement à quelque 200 mètres du point de chute de ces malheureux, ma curiosité, une fois le calme revenu, me conduira, en compagnie de quelques autres, sur le lieu de la tragédie. Et grande sera notre stupéfaction de voir ces deux hommes venus des antipodes réunis dans la mort pour que vive la liberté et dont les corps, raccourcis et atrocement déformés sous le choc, gisaient dans un trou de 50 centimètres de profondeur. »

 

John Edgard Clift (21 ans), néo-zélandais (photo J.-L. G.).

 

Issu d’une vieille famille presloise, Jacques Chaumerliac, président de la section de Presles-Nerville de l’Union nationale des combattants, est né juste après la fin de la guerre. Sa mère était téléphoniste à la Poste de Beaumont. Il se souvient d’une conversation avec le père Theurot, comme il le surnomme. « Il m’a raconté qu’il était allé relever les collets, avec son chien, qu’il a vu l’avion, et a ramené le blouson du pilote chez lui à Beaumont. Il avait 15, 16 ans, il habitait chez ses grands-parents sur la place du Pothuis, face aux berges de l’Oise, où il y a une statue de la Vierge sur une façade. »

 

Edgard Feather (20 ans), anglais (photo J.-L. G.).

 

Quand elle l’aperçoit, sa grand-mère, prise d’une peur panique, se débarrasse du blouson en mouton retourné. Il appartenait à un septième homme. Il y a six tombes à Nointel. Aucune ne stipule la présence du pilote. Jacques Chaumerliac a retrouvé sa trace dans un livre britannique. Il s’appelle Allan Robert Speyrs. Il est néo-zélandais. Il a fêté ses 21 ans, trois semaines avant le crash. Comment a-t-il eu la vie sauve quand le sort réservé à ses compagnons était celui d’une mort certaine ? En ouvrant son parachute avant ses infortunés camarades ? Et comment a-t-il réussi à échapper aux Allemands ? Pour Jacques Chaumerliac, « il a certainement été récupéré au camp de la Rose des vents, un camping avant-guerre, à Presles, par le réseau d’Édouard-José Laval, qui s’étendait jusqu’à Luzarches. » Ce réseau « confiait » des blessés au docteur Jacques Fritschi (1910-1993), le célèbre chirurgien beaumontois – il a donné son nom à l’hôpital – qui prenait tous les risques pour sauver des vies humaines.

 

James Donald Saidler (23 ans), écossais (photo J.-L. G.).

 

Exfiltré par la Résistance, Speyrs se cache dans le camp de Fréteval (Loir-et-Cher), lieu d’accueil des aviateurs alliés dont l'avion est tombé. Il le quitte le 13 août 1944 lors de l’avancée des Alliés, un peu plus de deux mois après le Débarquement en Normandie.

L’histoire du Lancaster appartient aux Nointellois. En effet, une partie de la population s’oppose courageusement aux « feldgendarmes » allemands qui veulent emporter les dépouilles des six aviateurs, peut-être pour les conduire à Boran où sont déjà enterrés des militaires alliés, près d’un dépôt à munitions.

 

Gilbert Dennis Vine (âge inconnu), anglais (photo J.-L. G.).

 

À l’occasion du 50e anniversaire de leur disparition, un hommage leur est rendu, le 1er mai 1994, au cimetière de Nointel. Dans son discours, Monsieur Brabandts, président de la section locale des Médaillés militaires, donne de précieux détails des circonstances de leur enterrement. « Le ton monta et l’affaire allait tourner mal quand le maréchal des logis-chef M., de la brigade de gendarmerie de Beaumont-sur-Oise, intervint. Gradé énergique, profondément anti-allemand, il entretenait néanmoins des relations, disons cordiales, avec le lieutenant commandant la feldgendarmerie d’Enghien-les-Bains chargée de la surveillance de la région de Beaumont-sur-Oise, ce qui lui permettait d’être relativement indépendant vis-à-vis des autorités d’occupation. Rapidement, il obtint du lieutenant de la feldgendarmerie l’arrangement suivant : la population de Nointel serait autorisée à prendre possession des corps afin de les enterrer dignement en tant que combattants d’une armée régulière pour autant qu’aucune manifestation anti-allemande n’ait lieu devant le château de Nointel où se trouvaient des marins allemands au repos. »

 

John Herbert Wain (33 ans), néo-zélandais (photo J.-L. G.).

 

La cérémonie a lieu dès le 2 mai. Des habitants ont couvert les cercueils de fleurs provenant des jardins et des champs voisins. Les corps sont transportés à bord d’un véhicule de ferme. Le curé les bénit. Selon des témoins, face aux marins allemands, le maréchal des logis-chef M. et deux jeunes gendarmes en tenue traditionnelle, rendent les honneurs. Les Allemands n'interviennent pas. Il se trouve même un officier allemand, assez âgé, pour saluer les corps de militaires ennemis en portant la main à sa visière alors que le salut nazi était imposé dans l’armée allemande. Pour M. Brabandts, « l’attitude de la population de Nointel a constitué un authentique acte de résistance à l’envahisseur allemand. Elle n’avait que sa détermination à opposer à un ennemi devenu de plus en plus agressif envers la population civile française du fait de ses revers militaires. »

Qui étaient ces très jeunes gens au courage infini qui avaient eu la malchance d’être nés dans les années 20 ? « Air Gunner » (mitrailleur), le sergent Edgar Feather, le plus jeune d’entre eux (20 ans), était un enfant d’Halifax, dans le Yorkshire, au Nord de l'Angleterre. Il appartenait à la réserve des volontaires de la Royal Air Force. Le « Air Bomber » (bombardier) s’appelait James Donald Saidler. C’était un Écossais de 23 ans, originaire de Dunoon. Le sergent John Edgar Clift, 21 ans, avait grandi à Epsom, dans la province d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Le sergent « flight engineer (mécanicien navigant) Gilbert Dennis Vine était lui aussi un volontaire de la RAF. Comme le Sergent Sydney Wallace, opérateur radio. À 33 ans, l’officier du groupe, le navigateur John Herbert Wain faisait figure d’ancien. C’était un membre de la Royal New Zealand Air Force, un gars de Riccarton, dans la province de Canterbury. Allan Robert Speyrs, le pilote rescapé, venait de Nelson, près de Christchurch. Le « kiwi » s’était enrôlé le 25 mai 1941. Les Alliés avaient grand besoin d’aviateurs, alors il servit son pays jusqu’au 11 mars 1946 et totalisa presque cinq années de guerre.

 

Sydney Wallace (âge inconnu), anglais (photo J.-L. G.).

 

Après le conflit, les États-Unis décidèrent d’exhumer les corps de leurs soldats pour les regrouper dans des cimetières militaires américains situés en France. En revanche, les pays du Commonwealth laissèrent les dépouilles des leurs dans les cimetières communaux où figure la mention « Tombes de guerre du Commonwealth ». Six d’entre eux reposent depuis soixante-dix-sept ans dans celui de Nointel.