Denise, 100 ans, ambulancière de la guerre

Denise, 100 ans, ambulancière de la guerre

 

Merveilleux cadeau pour ses 100 ans, à l’aérodrome de Persan-Beaumont, à Bernes, Denise Ranarivelo s’est installée au volant de la réplique parfaite de l’ambulance militaire qu’elle conduisit en 1944 et 1945.

C’était une surprise. Une immense surprise et une émotion intense. Le jour de son 100e anniversaire, Denise Ranarivelo s’est rendue à l’aérodrome de Persan-Beaumont, à Bernes, où l’attendait une ambulance militaire. « C’est la même », glissait-elle ce samedi 23 avril, en fin de matinée. Le même modèle US qu’elle conduisit en 1944 et 1945 lors des campagnes de France et d’Allemagne.

Voulant lui faire cette joie pour célébrer son centenaire, Hubert, l’un de ses fils, sollicita Henry et Éliane Boulle, propriétaires-collectionneurs d’authentiques véhicules militaires de la guerre 39-45, qui participent régulièrement aux cérémonies patriotiques dans nos communes.  

Denise au volant, 77 ans plus tard (photo J.-L. G.).

 

Le couple avait même eu la délicatesse d’ajouter le nom de son ambulance sur la portière, côté conductrice. « Monise » pour Monique et Denise. Deux coéquipières, deux amies unies comme deux sœurs qui se relayaient à la conduite, du Débarquement de Provence, en août 1944, à Tübingen, outre-Rhin, en novembre 1945.

Les larmes coulent mais Denise se ressaisit vite pour remercier ses hôtes dont les maires de Bernes et de Bruyères, Olivier Anty et Alain Garbe. Sans hésiter, et même excitée, elle monte dans l’ambulance à l’aide d’un marchepied, s’accroche au volant comme à ses souvenirs vieux de près de 80 ans. Elle est toute menue : 1 mètre 50. Pendant la guerre, des médecins français l’avaient surnommé « Rasemotte » et, plus poétiquement, « loin du ciel ». Sa toison est rousse, les Américains l’appelaient « red » ou « ginger »

L’ambulancière secouriste pendant la guerre (photo collection famille Ranarivelo).

 

L’une de ses petites filles propose de la rehausser avec un coussin. « Oh ! Pour ce que je vais faire, je ne vais pas aller loin… » Elle s’amuse avec le klaxon. Le maire de Bernes lui prête son bras pour descendre de l’ambulance. Pas besoin. « On était agile à l’époque », souffle-t-elle. Découvrant un brancard à l’arrière du véhicule, elle raconte : « On prenait des précautions, on conduisait doucement ». Elle inspecte des pieds à la tête un  mannequin qui porte la même tenue d’ambulancière secouriste qu’elle.

Denise Ranarivelo nait Roger le 23 avril 1922 à Levallois-Perret, près de Paris. En 1938, elle suit ses parents à Madagascar où son père est nommé directeur des PTT dans l’ile et aux Comores. La guerre éclate. En octobre 1943, des recruteurs arrivent à Madagascar et à la Réunion pour créer la section féminine des volontaires françaises de l’Océan Indien. Avec deux de ses meilleures amies, dont Monique, Denise n’hésite pas. « Ils voulaient des ambulancières et des secrétaires. Secrétaire, pas question ! », lance-t-elle comme une évidence. Les esprits étroits sont légion à l’époque. « Ah ! Elles veulent la guerre, et bien elles la feront ! », s’exclame le colonel commandant son régiment d’artillerie.

Éliane Boulle accueille Denise Ranarivelo à l’aérodrome de Persan-Beaumont, à Bernes (photo J.-L. G.).

 

Cinquante-deux jours de mer pour rejoindre l’Algérie. Affectée dans une unité médicale d’infanterie coloniale, elle ne sera pas armée, cependant sa formation prévoit le lancer de grenades. Surtout elle s’entraine à conduire un camion Dodge. Le 14 juillet 1944 , le brigadier Roger défile devant de Gaulle. Sur son ambulance, un as de cœur qui lui inspirera le titre d’un livre écrit en 2007, à l’âge de 85 ans : « Sous le signe de l’As de cœur , de Tanarive à Tübingen », où elle décrit l’ordinaire de la guerre au cœur d’une aventure personnelle extraordinaire.

La Corse puis le débarquement en Provence, le 23 août 1944, près de Saint-Tropez. « Monique et moi, terriblement émues, la larme à l’œil, nous tombons dans les bras l’une de l’autre, et nous nous embrassons, ivres de joie », écrit-elle dans ses mémoires de guerre. Leur première mission : transporter trois soldats… allemands.

La remontée vers la Bourgogne. L’ambulance qui crabote pour s’extraire de la boue. Vers Autun, « une route jonchée de cadavres ». Auprès du régiment de Dragons, le danger s’accentue, les évacuations se multiplient, son tempérament s'affirme. Les nuits sont de plus en plus blanches. Les brancardiers sénégalais, appréciés pour leurs qualités physiques, sont renvoyés dans le sud car ils supportent mal les températures glaciales. 

Henry Boulle (de dos) présente le mannequin d’une infirmière à Denise (photo J.-L. G.).

 

Octobre 1945, la Bataille des Vosges. Quand Denise et Monique trouvent enfin un bon lit, « le canon avait beau taper tout près, nous étions décidées à ne pas bouger le petit doigt s’il venait à nous atteindre ». Dans une lettre à ses parents : « En ce moment encore pendant que je vous écris ça fait un raffut formidable, ce sont certainement de grosses pièces de mortier. »

Les routes gelées, les pannes, surtout les coups de cafard. Parfois la nourriture sent l’éther.

En 1945, elle tient un journal quasi quotidien. Le passage à la nouvelle année est joyeusement célébré malgré la réalité de la guerre. « J’ai mal aux cheveux ».

Dans le GCA, Groupe chirurgical avancé, on danse aussi « pour se défouler ». Elle va au cinéma regarder Buffalo Bill « en couleurs », accompagnés de deux dentistes américains devenus de vrais amis.  

Les blessés, elle les nomme « les couchés » et ceux qui le sont moins gravement, « les assis »Vers Saint-Dié, elle transporte « quatre couchés bien amochés qui se plaignent sans arrêt ;…; Je roule à 2 miles, c’est-à-dire au pas, mais ils souffrent quand même beaucoup, la route n’est qu’un trou. » La Bataille de Colmar fait rage. « J’ai passé 8 jours abrutissants, conduisant jusqu’à 40 heures de suite, ne m’arrêtant que pour charger et décharger les blessés. » Évacuer, un leitmotiv. Et pour ne jamais tomber dans le fossé malgré le danger, le sang-froid est requis. Un blessé, reconnaissant : « Mesdemoiselles, vous concrétisez le triomphe de la femme ».

Les élus de bernes et de Bruyères ont accueilli Denise Ranarivelo et sa famille (photo J.-L. G.).

 

Le 28 mars 1945, traversée du Rhin. Commence pour Denise la campagne d’Allemagne. « Notre crânien, hélas, meurt en route »Lorsqu’elle arrive à Tübingen , la guerre est déjà finie. « Que va-t-on faire de nous ? » s’interroge-t-elle car l’armée est devenue sa deuxième famille. « J’ai fait la guerre, j’ai eu la chance de ne pas la subir », relate Denise dans son livre dédié « à Monique, ma chère coéquipière perdue pour moi, mais jamais oubliée ».

Démobilisée, elle retourne à Madagascar où elle aurait pu rester tranquillement pendant 2 ans. Au lieu de cela, elle a écouté son courage ! Dans l'île, elle devient Madame Ranarivelo avant de rentrer en métropole et s'installier définitivement dans le 15arrondiissement de Paris à partir de 1954. Pendant la guerre, son futur époux s’est illustré à la tête d’un groupe des FFI (Forces françaises de l'Intérieur) en Savoie.

Il est temps de quitter l’aérodrome bernois en famille, direction un restaurant de Chantilly. De la famille, ils sont treize à table. Denise ne trouve rien à redire. Au contraire. Jadis, sa « Monise » roulait dans un convoi de 13 ambulances.