En fermant son garage, Patrick Lisi s’ouvre aux émotions

En fermant son garage, Patrick Lisi s’ouvre aux émotions

 

Le 31 mars, le garage Lisi fermera ses portes après quarante-quatre ans d’existence. C’est une institution de la vie économique camblysienne qui disparaît, autant qu’un lieu de vie d’où les sentiments ressortent très fortement aujourd’hui.

 

C’est un évènement dans la vie économique à Chambly. Un évènement triste. Le vendredi 31 mars, le garage Lisi fermera ses portes. Patrick Lisi a l’âge de la retraite. « L’affaire est en vente depuis cinq ans », dit-il, le cœur lourd. Ses efforts pour trouver un repreneur sont restés vains. « Les gros concessionnaires ne sont pas intéressés pour reprendre les concessions moyennes, et les petits n’en n’ont pas les moyens », explique-t-il. Le patron reste pro jusqu’au bout. Il a encore mille choses à régler d’ici les deux semaines qui le séparent de la fermeture de son entreprise. A cette somme considérable de travail s’ajoute une émotion palpable et même communicative chez Patrick Lisi. Ses sentiments s’entrechoquent sous l’effet de la fin d’une histoire familiale quarantenaire, de l’avenir de ses huit salariés, des marques d’affections de ses clients... Ces derniers l’entourent comme un ami très cher. Quand leur sollicitude vient au secours de sa peine, son visage envahit d’une indicible tristesse est éclairé par un sourire mélancolique. « Les gens viennent pour me saluer, certains pleurent. Cela me rend malheureux. Ca me déglingue. Je ne dis pas que j’étais le meilleur garage, mais le sérieux et la confiance prédominaient. »

 

Patrick Lizi, dans le hall de sa concession, avec Bruno, son fidèle chef d'atelier (photo J.-L. G.).

 

Patrick Lisi a la mémoire des dates : « Le 1er avril 1973, mon père Michel a ouvert son garage au 86, rue des Marchands, à Chambly. A l’époque, c’était uniquement de la mécanique. Le 1er juillet 1975, il a été nommé agent Renault. » Un souvenir précis l’attache à ce lieu : « Je suis arrivé à ce moment-là. Je n’étais pas mécano au départ, j’avais BAC + 3, pas du tout manuel. Mon père avait besoin de moi, il m’a tout appris de la mécanique. La carrosserie c’est moi », glisse cet autodidacte, combatif, curieux de tout, à l’aise en société. Le 1er avril 1986 marque l’ouverture d’un second garage pour le père et le fils, rue de Senlis, à Beaumont, cédé par la famille Trubert, un autre grand nom de l’automobile dans la région. Et en 1989, la petite affaire familiale de la rue des Marchands s’installe aux portes de la commune, à la limite avec Persan, dans les locaux actuels : mécanique, vente de véhicules puis carrosserie en 1992 quand Michel Lisi quitte Beaumont pour prendre sa retraite. Quarante-quatre d’existence, quarante-deux de fidélité à la marque au losange. Une véritable institution.

Derrière la mémoire des dates, Patrick Lisi possède la vertu d’avoir celle des hommes. « Ce métier m’a régalé, épanoui, il m’a permis de connaitre des gens incroyables. Parfois d’exception. » Il a eu pour client un ancien ministre de la Défense, Alain Richard, qu’il a apprécié, des philosophes… « La notoriété des gens ne m’intéresse pas, c’est leur personnalité, confie-t-il. Les yeux, l’âme des gens… La vie c’est les rencontres, les gens. Pas les gens qu’on croise, les gens qu’on rencontre. »

Il y a quelque chose dans l’ordre du sacré, dans la façon dont il évoque l’authenticité de ces moments où l’humain dépasse tout. Comme une sorte d’apostolat.

Le garage Lisi va fermer. Quand on en sortait, la route était belle.

 

En 2012, sur la place Charles de Gaulle, Patrick Lisi (à droite) présente à Michel Françaix, alors maire de Chambly, un singulier modèle électrique (photo Mathieu Oboeuf/Ville de Chambly).

 

AVEC LES GALOPINS DE CALCUTTA

Les clients du garage Lisi ont sûrement aperçu un jour, disséminés sur le comptoir et sur les tables au milieu des plaquettes commerciales, des bulletins d’informations où apparaissait un tout autre sujet que l’automobile : « Ensemble, offrons leur un vrai avenir », peut-on lire. Un vrai avenir pour les Galopins de Calcutta, le nom de l’association qui a aidé quarante-six orphelins à sortir de la rue pour se construire dans un foyer. A l’évocation de leur existence et de cette chaîne de solidarité dont il est un maillon, ses yeux lancent des éclairs. « Je parraine deux frères, Rahul et Akash, raconte Patrick Lisi. Cela fait trois ans que je ne suis pas allé en Inde, faute de temps, avec ma boîte. J’ai promis aux gamins de venir plus souvent. » Il dit son admiration pour Fabienne, la fondatrice de l’association des Galopins de Calcutta, « une femme merveilleuse », insiste-t-il, admiratif. La lecture de « La Cité de la joie », le célèbre roman de Dominique Lapierre qui nous plonge au cœur d’un bidonville de Calcutta, un déclic dans sa vie, l’a conduit en Inde en 1999. « J’ai lu l’histoire de Fabienne dans un magazine, dans une salle d’attente d’un cabinet médical à Paris, se souvient-il parfaitement. C’était en 2003, j’ai adhéré à ce projet. Trois ans plus tard, j’ai connu ‘’mes’’ gamins. »