Chronique ordinaire d’une infirmière beaumontoise

Chronique ordinaire d’une infirmière beaumontoise

 

Édith est une infirmière beaumontoise très connue de la population du Haut Val-d’Oise. Elle témoigne des difficultés toujours plus nombreuses de son travail, autant un sacerdoce qu’un métier.

 

« Quel est votre parcours ?

J’ai travaillé pendant 15 ans à l’hôpital de Pontoise puis, en 1992, j’ai ouvert le premier cabinet d’infirmières à Beaumont. J’étais installée rue Albert 1er, puis rue Nationale et place du Château. J’en avais un peu marre d’être seule. Plusieurs infirmières sont arrivées. C’est plus agréable d’être entourée de professionnels, c’est plus enrichissant. Il y a un dialogue, une complémentarité…

 

Comment fonctionnez-vous dans votre cabinet ?

Nous allons passer de cinq à sept infirmières car nous avons un problème d’effectif. Nous allons de Presles à Bruyères. Ce sont des courts trajets, mais nos tournées font jusqu’à 100 kilomètres par jour. Une fille fait Beaumont, une autre Bruyères et Bernes, une troisième est polyvalente. Une tournée le matin de 6 heures à 13 heures, une autre de 16 heures à 20 heures. L’an dernier, pendant la période des vacances d’été, on a travaillé jusqu’à 28 jours d’affilée. On change pour ne pas trop s’habituer aux patients. Certains sont durs à gérer, physiquement et psychologiquement.

 

Comment jugez-vous l’évolution de votre profession ?

En 30 ans la situation s’est dégradée. Auparavant les gens avaient plus de considération, plus de fidélité. Aujourd’hui, on vous prend, on vous jette. Certains patients sont très, très exigeants : il faut arriver tout de suite chez eux. Il y a de l’agressivité. Des collègues pas loin de Beaumont ont déjà été agressées.

 

Y a-t-il une forte concurrence entre les cabinets ?

Oui, il y a trop d’infirmières à domicile. La Sécu devrait réguler car certains cabinets ont du mal à vivre et cela créé des tensions. C’est une conséquence du peu de considération qu’ont les infirmières dans les hôpitaux où elles ne sont pas rémunérées à leur juste valeur. En sortant de l’école, les infirmières doivent deux ans à l’hôpital puis elles s’en vont. Quand je faisais mes études on était 30 par promotion, aujourd’hui elles sont 90 et seulement 40 sont réellement motivées.

 

« On fait partie de la famille, les gens se

confient, certains patients nous tutoient… »

 

Vous en sortez-vous ?

La population vieillit, je perds mes patients. Ce qui permet de nous rattraper, c’est le raccourcissement des séjours à l’hôpital qui génèrent des soins à domicile sur des courtes périodes. Ce qui est bien rémunéré, ce sont les soins liés à la chimio, aux perfusions. La fin de vie à domicile. Bien sûr, cela exige beaucoup d’implication. Nous faisons des formations car il y a de nouvelles méthodes, de nouvelles techniques. Humainement, il faut trouver le juste milieu. La famille pose beaucoup de questions. Nous sommes très proches de certains patients, et quand ça finit mal, tout le monde trinque. Une fois par semaine au cabinet, entre infirmières, on échange nos infos sur les patients et nous nous retrouvons pour une grande réunion mensuelle.

Ces situations sont très éprouvantes pour les soignants…

Oui, mais je serai motivée jusqu’à ma retraite. J’aime beaucoup le contact avec les gens. C’est très enrichissant. J’aime discuter. On fait partie de la famille, on nous invite aux fêtes, les gens se confient, certains patients nous tutoient, nous appellent par nos prénoms…

 

Les infirmières sont également les premières observatrices de la précarité grandissante au sein de la population.

Il y a de plus en plus de cas difficiles. Vous entrez, vous voyez le contexte, mais on fait les soins. On ne va pas laisser les gens dans la panade. Après avoir fait tous les soins, il arrive que les gens vous disent : « J’ai pas les sous ». On fait régler chaque semaine pour ne pas avoir des sommes énormes impayées à la fin. Les chèques en bois, ça arrive quand même. »